UNE LETTRE PAR MOIS
Voici à quoi vous échappez en achetant cette publication de la Correspondance !
Quelques extraits au fil des mois...
Janvier : Bonne année !
Ma très chère Fille, il fallait écrire la première lettre de cette année à Notre Seigneur et à Notre Dame ; et voici la seconde par laquelle, ô ma Fille, je vous donne la bonne année et dédie notre cœur à la divine Bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette année, qu'elle nous serve de fondement pour l'année éternelle ! Du moins ce matin, sur le réveil, j'ai crié à nos oreilles : VIVE JÉSUS ! et j'eusse bien voulu épandre cette huile sacrée sur toute la face de la terre.
Lettre 739, Annecy, [1er janvier 1612]
Février : Des tentations… Quelles tentations ?
Vous me demandez les remèdes à la peine que vous donnent les tentations que le malin vous fait contre la foi et l'Église ; car c'est cela que j'entends. Je vous en dirai ce que Dieu me donnera. Il faut, en cette tentation, tenir la posture que l'on tient en celle de la chair : ne disputer ni peu ni prou, mais faire comme faisaient les enfants d'Israël des os de l'Agneau pascal, qu'ils n'essayaient nullement de rompre, mais les jetaient au feu [1]. Il ne faut nullement répondre ni faire semblant d'entendre ce que l'ennemi dit ; qu'il clabaude tant qu'il voudra à la porte, il ne faut pas même dire : "Qui va là ?" Il est vrai, me direz-vous, mais il m'importune, et son bruit fait que ceux de dedans ne s'entendent pas les uns les autres à deviser. C'est tout un ; patience, il faut se parler par signes : il faut se prosterner devant Dieu et demeurer là devant ses pieds ; il entendra bien, par cette humble contenance, que vous êtes sienne et que vous voulez son secours, bien que vous ne puissiez pas parler. Mais surtout tenez-vous bien fermée dedans, et n'ouvrez nullement la porte, ni pour voir qui c'est ni pour chasser cet importun ; à la fin il se lassera de crier et vous laissera en paix. Il serait temps, me direz-vous.
Lettre 234, Sales, 14 octobre 1604
Mars : Carême… car aime !
Le carême est l'automne de la vie spirituelle, au cours duquel on doit recueillir les fruits et les ramasser pour toute l'année. Faites-vous riche, je vous supplie, de ces trésors précieux que rien ne peut vous ravir ni gâter [2]. Souvenez-vous de ce que j'ai coutume de dire : Nous ne ferons jamais bien un carême si nous pensons en faire deux. Faisons donc celui-ci comme le dernier et nous le ferons bien.
Lettre 329, Chambéry, 24 février 1606
Avril : Après la Passion, la Résurrection.
Vivez, ma chère Fille, avec le doux Jésus et votre sainte Abbesse, parmi les ténèbres, les clous, les épines, les lances, les dérélictions, et, avec votre Maîtresse, vivez longtemps en larmes, sans rien obtenir ; enfin Dieu vous ressuscitera et vous réjouira, et vous fera voir le désir de votre cœur [3]. Je l'espère ainsi ; et, s'il ne le fait pas, encore ne cesserons-nous pas de le servir. Il ne cessera pas pour cela d'être notre Dieu, car l'affection que nous lui devons est d'une nature immortelle et impérissable.
Lettre 306, Annecy, 28-30 août 1605
Mai : Le mois de Marie, "l'Abbesse" de la Baronne de Chantal
Voyez votre Abbesse partout où elle est. En sa chambre de Nazareth : elle exerce sa pudicité en craignant ; sa candeur, désirant d'être enseignée et interrogeant ; sa démission, son humilité, se disant servante [4]. Voyez-la en Bethléem : elle exerce une vie simple de pauvreté ; elle écoute les bergers comme si c'eussent été de grands docteurs. Voyez-la avec les rois : elle ne s'empresse point à leur faire des harangues. Voyez-la en la Purification : elle y va pour obéir à la coutume ecclésiastique [5]. En allant et revenant de l'Égypte, elle obéit simplement à saint Joseph [6]. Elle ne croit pas perdre son temps d'aller visiter sa cousine sainte Élisabeth, par office d'une charitable civilité [7]. Elle cherche Notre Seigneur non pas en se réjouissant mais en pleurant [8]. Elle a compassion de la pauvreté et confusion de ceux qui l'ont invitée aux noces, leur procurant leurs nécessités [9]. Elle est au pied de la Croix [10], humblement humble, basse, vertueuse, et vertueusement basse.
Lettre 505, [1605 - 1608]
Juin : Les quatre saisons
Je vois que toutes les saisons de l'année se rencontrent en votre âme : que tantôt vous sentez l'hiver de maintes stérilités, distractions, dégoûts et ennuis, tantôt les rosées du mois de mai, avec l'odeur des saintes fleurettes, tantôt des chaleurs de désir de plaire à notre bon Dieu. Il ne reste que l'automne duquel, comme vous dites, vous ne voyez pas beaucoup de fruits. Mais bien, il arrive souvent que, en battant les blés et pressant les raisins, on trouve plus de bien que les moissons et vendanges n'en promettent. Vous voudriez bien que tout fut en printemps et été ; mais non, ma chère Fille, il faut de la vicissitude en l'intérieur aussi bien qu'en l'extérieur. Ce sera au Ciel où tout sera en printemps quant à la beauté, tout en automne quant à la jouissance, tout en été quant à l'amour. Il n'y aura nul hiver ; mais ici l'hiver y est requis pour l'exercice de l'abnégation et de mille petites belles vertus qui s'exercent au temps de la stérilité. Allons toujours notre petit pas ; pourvu que nous ayons l'affection bonne et bien résolue, nous ne pouvons que bien aller.
Lettre 385, Annecy, 11 février 1607
Juillet : Pourquoi pas profiter de l'été pour faire une retraite ?
La robe de laquelle on s'est dépouillé ne doit pas nous mettre en sollicitude. Je n'aime pas les tendretés, mais cet amour royal, pareil à celui des bienheureux qui aiment tant et ne pleurent jamais. Mais quelquefois, et pour un peu, ce Roi des cœurs laissa aller le sien ; jusqu'à l'amour des larmes [11], pour montrer qu'il aimait les nôtres quand elles procèdent selon l'ordre de la dilection.
Lettre 2089, Annecy, [après la retraite de mai 1616]
Août : L'été, c'est aussi le moment de visiter les églises et de méditer devant une statue.
Si une statue que l'on aurait mise en une niche au milieu d'une salle avait du discours et qu'on lui demandât : Pourquoi es-tu là ? Parce que, dirait-elle, le statuaire mon maître m'a mis ici. Pourquoi ne te remues-tu pas ? Parce qu'il veut que j'y demeure immobile. À quoi sers-tu là ? Quel profit te revient-il d'être ainsi ? Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obéir à la volonté de mon maître. Mais tu ne le vois pas. Non, dira-t-elle, mais il me voit et prend plaisir que je sois où il m'a mise. Mais ne voudrais-tu pas bien avoir du mouvement pour aller plus près de lui ? Non pas, à moins qu'il me le commandât. Ne désires-tu donc rien ? Non, car je suis où mon maître m'a mise, et son gré est l'unique contentement de mon être.Mon Dieu, chère Fille, que c'est une bonne oraison et que c'est une bonne façon de se tenir en la présence de Dieu, que de se tenir en sa volonté et en son bon plaisir ! Il m'est avis que Madeleine était une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer, et peut-être sans le regarder, elle écoutait ce que Notre Seigneur disait, assise à ses pieds [12]. Quand il parlait, elle écoutait ; quand il cessait de parler, elle cessait d'écouter, et cependant elle était toujours là [13]. Un petit enfant qui est sur le sein de sa mère dormante, est vraiment en sa bonne et désirable place, bien que celle-ci ne lui dise mot, ni lui à elle.
Lettre 838, [1611 - 1612]
Septembre : A propos des bonnes résolutions de la rentrée…
Mais si vous avez grand goût aux prières que ci-devant vous avez faites, ne changez pas, je vous prie, et s'il vous advient de laisser quelque chose de ce que je vous ordonne, n'ayez point de scrupule, car voici la règle générale de notre obéissance écrite en grosses lettres :
IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE ; IL FAUT PLUS AIMER L'OBÉISSANCE QUE CRAINDRE LA DÉSOBÉISSANCE.
Je vous laisse l'esprit de liberté, non pas celui qui exclut l'obéissance, car c'est la liberté de la chair ; mais celui qui exclut la contrainte et le scrupule ou précipitation. Si vous aimez bien fort l'obéissance et la soumission, je veux que s'il vous vient une occasion juste et charitable de laisser vos exercices, ce vous soit une espèce d'obéissance, et que ce manquement soit suppléé par l'amour.
Lettre 234, Sales, 14 octobre 1604
Octobre : Comment être heureux ?
Enfin, il ne faut point s'étonner ni se rendre lâche pour nos infirmités et instabilités ; mais, en s'humiliant doucement et tranquillement, il faut remonter son cœur en Dieu et poursuivre sa sainte entreprise, se confiant et appuyant en Notre Seigneur, car il veut fournir tout ce qui est nécessaire pour l'exécution, ne nous demandant rien que notre consentement et fidélité.Oh ! Si nous pouvions une bonne fois nous déterminer et dire absolument : Seigneur, que voulez-vous que je fasse [14] ? Que nous serions heureux ! Au moins, il faut le dire souvent.
Lettre 2099 (non datée)
Novembre : La petite sœur de François de Sales vient de décéder chez la Baronne de Chantal.
Hélas, ma Fille, je suis tant homme que rien plus. Mon cœur s'est attendri plus que je n'eusse jamais pensé ; mais la vérité est que le déplaisir de ma mère et le vôtre y ont beaucoup contribué, car j'ai eu peur de votre cœur et de celui de ma mère. Mais quant au reste, oh vive Jésus ! je tiendrai toujours le parti de la Providence divine : elle fait tout bien et dispose de toutes choses au mieux [15]. Quel bonheur a cette fille d'avoir été ravie du monde, afin que la malice ne pervertît son esprit [16], et d'être sortie de ce lieu fangeux avant qu'elle s'y fût souillée [17] ! On cueille les fraises et les cerises avant les poires bergamotes et les capendus [18] ; mais c'est parce que leur saison le requiert. Laissons que Dieu recueille ce qu'il a planté en son verger ; il prend tout à saison.Vous pouvez penser, ma chère Fille, combien j'aimais cordialement cette petite fille. Je l'avais engendrée à son Sauveur, car je l'avais baptisée de ma propre main, il y a environ quatorze ans : ce fut la première créature sur laquelle j'exerçai mon ordre de sacerdoce. J'étais son père spirituel et me promettais bien d'en faire un jour quelque chose de bon ; et ce qui me la rendait fort chère (mais je dis la vérité), c'est qu'elle était vôtre. Mais néanmoins, ma chère Fille, au milieu de mon cœur de chair, qui a tant ressenti cette mort, j'aperçois fort sensiblement une certaine suavité, tranquillité et certain doux repos de mon esprit en la Providence divine, qui répand en mon âme un grand contentement en ses déplaisirs. Or bien, voilà mes mouvements représentés comme je puis.
Lettre 418, Sales, 2 novembre 1607
Décembre : Vous êtes enceinte de Jésus.
Quand il vous surviendra quelque ennui, ou intérieur ou extérieur, prenez entre vos bras vos deux résolutions et colonnes de l'édifice, et, comme une mère sauve ses enfants d'un danger, portez-les dans les plaies de Notre Seigneur et priez-le qu'il vous les garde et vous avec elles, et attendez dans ces saintes cavernes [19] jusqu'à ce que la tempête soit passée. Vous aurez des contradictions et amertumes ; les tranchées et convulsions de l'enfantement spirituel ne sont pas moindre que celles du corporel : vous avez essayé les unes et les autres. Je me suis maintes fois animé parmi mes petites difficultés par les paroles de notre doux Sauveur qui dit [20] : La femme, quand elle enfante, a une grande détresse ; mais après l'enfantement elle oublie le mal passé parce qu'un enfant lui est né. Je pense qu'elles vous consoleront aussi, si vous les considérez et répétez souvent. Nos âmes doivent enfanter non pas hors d'elles-mêmes mais en elles-mêmes, un enfant mâle, le plus doux, gracieux et beau qui se peut désirer. C'est le bon Jésus qu'il nous faut enfanter et produire en nous-mêmes [21] ; vous en êtes enceinte, ma chère Sœur, et béni soit Dieu qui en est le Père. Je parle comme cela, car je sais vos bons désirs ; mais courage, car il faut bien souffrir pour l'enfanter. L'Enfant aussi mérite bien qu'on endure pour l'avoir et pour être sa mère.
Lettre 223, Annecy, 24 juin 1604
Bonus : Vous avez droit à un treizième mois !
À Dieu, ma chère Fille ; pressez fort ce cher Crucifié sur votre poitrine. Je le supplie qu'il vous serre et unisse de plus en plus en lui. À Dieu encore, ma très chère Fille ; me voici bien avancé dans la nuit, mais plus avancé dans la consolation que j'ai de m'imaginer le doux Jésus assis sur votre cœur ; je le prie qu'il y demeure au grand jamais. À Dieu encore une fois, ma bonne, ma chère Fille, ma Sœur, que je chéris incomparablement en Notre Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. Vive Jésus !
Lettre 330, Chambéry, [fin février 1606]
[1] Ex 12, 10 et 46 ; Jn, 19, 36
[2] Cf. Mt 6, 20
[3] Cf. Ps 20, 3
[4] Lc 1, 29-38
[5] Lc 2, 22-24
[6] Mt 2, 13-23
[7] Lc 1, 39-40 et 56
[8] Lc 2, 48
[9] Jn 2, 3
[10] Jn 19, 25
[11] Cf. Lc 19, 41 ; Jn 11, 35
[12] Lc, 10, 39
[13] Cf. Traité de l'Amour de Dieu, livre VI, chap. VIII.
[14] Ac 22, 10
[15] Cf. Sg 12, 15
[16] Cf. Sg 4, 11
[17] Cf. Ps 68, 15
[18] Capendu : espèce de pomme rouge.
[19] Ct 2, 14 ; cf. 1 R 19, 9
[20] Jn 16, 21
[21] Cf. Ga 4, 19
Lettre 633, 3 décembre 1610